La fondation de l’Église Russe comparée à celle de l’Église d’Ukraine, par le métropolite Michel

L’autocéphalie de Moscou, avec son érection comme siège patriarcal, fut obtenue par la force. Une première rupture fut l’auto-proclamation unilatérale de l’autocéphalie et la désignation en 1448 de son nouveau métropolite Jonas sans le consentement de Constantinople. Cette situation non canonique se poursuivit jusqu’en 1558.

Le tsar Fedor Ivanovitch et l’homme fort de la principauté, le régent Boris Godounov, convoquent à Moscou en 1588 le patriarche Jérémie II de Constantinople, affaibli politiquement par la domination ottomane. On commença par restreindre sa liberté en l’empêchant de retourner à Constantinople. Une « tradition » existait alors à Moscou (usage que de nombreux chroniqueurs ont consigné dans leurs récits) : emprisonner les visiteurs étrangers, certes bien accueillis, mais qui n’avaient plus jamais le droit, sous peine de mort, ni de simplement réclamer leur retour dans leur patrie, ni de communiquer avec les non russes de la capitale. Dans ces conditions, on proposa au patriarche de transférer son siège à Wladimir, en arguant qu’en restant à Constantinople, il était sous le joug des Turcs. Devant son refus courageux étant donné les circonstances, on lui proposa plus directement de devenir le patriarche des Russ’ avec comme siège Moscou. Et enfin (nous passons toutes circonvolutions des détails de cette histoire), on fit accepter au patriarche, qui se voyait terminer ses jours sans doute de manière violente à Moscou en cas de refus, d’ériger Moscou en siège patriarcal concomitant avec la déclaration d’autocéphalie ainsi que de procéder à l’intronisation du candidat désigné par le tsar et Godounov après un simulacre d’élection. Le patriarche de Constantinople n’avait jamais pu rencontrer le candidat au préalable !

On procéda donc, le 26 janvier du calendrier julien 1589, non pas à une intronisation, mais à une sorte de re-consécration épiscopale qui s’écartait du typikon orthodoxe traditionnel, en lui imposant l’Évangile avec la prière de la chirotonie épiscopale : «  La grâce divine désigne le très pieux archevêque Job pour devenir patriarche de Moscou et de toute la Russ’ ». Mais Jérémie ne pouvait rien dire, car il était entre les mains du puissant régent. Il consacra patriarche le favori de ce dernier. Cette mise devant le fait accompli ne le choquait d’ailleurs pas particulièrement, l’usage d’un prince désignant à l’élection du siège primatial un candidat désigné étant répandu dans toutes les monarchies. Cette pratique était en outre celle l’Empire Byzantin du temps de sa splendeur.

Et c’est ici que se place la confirmation pour la nouvelle Église de faire elle-même son Saint Myron. Le patriarche retint l’argumentation suivante : puisque ce droit avait été accordé au Siège de Kiev depuis au moins le XIVe siècle (la date précise n’est pas connue), il était transmis depuis Kiev (qui cependant conservait ce droit) au nouveau Siège de Moscou ! Ainsi, en droit canonique comme en charisme, faire son Saint Myron ne provenait pas d’un droit accordé ce jour-là par le patriarche de Constantinople au Patriarcat de Moscou, mais de la reconnaissance que ce droit ancien provenait du siège de Kiev. Même dans le Saint Myron, la position de la Métropole de Kiev comme Église Mère de Moscou et de toute les Église Russ’ était confirmée. La production du Saint Myron par le siège de Kiev est attachée à sa soumission canonique au patriarcat de Constantinople. Elle constitue la preuve charismatique que le siège de Kiev, en conservant sa capacité de produire lui-même son saint Myron, ne pouvait dépendre de Moscou, ce privilège lui venant directement du patriarcat de Constantinople.

Texte publié le 14 octobre 2018 par Son Éminence Michel (Laroche), évêque de la diaspora ukrainienne et métropolite de Paris et de toute la France.