Conference de l’institut des hautes etudes de la defense nationale (region centre val de loire) – L’UKRAINE ET LA RUSSIE

Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie de me fournir l’occasion d’exprimer un point de vue qui est peu ou très mal exposé, que ce soit par des femmes ou des hommes politiques, des publicistes, des journalistes ou des néo historiens.

Je m’exprime ici en qualité de Président de l’Union des Ukrainiens de France. Cette association a été créée en 1949 par des Ukrainiens qui étaient confinés dans des camps de personnes déplacées. C’est donc d’Allemagne ou d’Autriche que ces Ukrainiens émirent le choix de s’installer en France. Les premiers Présidents de l’association étaient tous des rescapés des camps d’extermination nazis, principalement d’Auschwitz, d’Oranienburg, Sachsenhausen. Les adhérents venaient d’horizons divers : jeunes ukrainiennes et ukrainiens déportés en Allemagne pour servir d’esclaves, combattants de l’armée d’Anders qui s’étaient distingués lors de la bataille de Monte Cassino ou plus simplement d’Ukrainiens qui étaient en France avant la guerre et qui avaient servi dans la légion étrangère. De nos jours, nos adhérents sont très majoritairement français, quoique suite à l’invasion russe en Ukraine et à l’arrivée de réfugiés, cette tendance s’inverse.

Nous avons reçu d’innombrables propositions d’hébergement, de donations, d’aides caritatives et humanitaires, des propositions d’aide active ainsi que des milliers messages de soutien et de condamnation de l’agression russe en Ukraine. L’immense solidarité avec les réfugiés ukrainiens s’est exprimée sur tout le territoire national et a prouvé, s’il en était besoin,  que la France est digne de son prestige passé, présent et à venir.

Je vais m’efforcer de rester objectif pour dénoncer les clichés, les calomnies, les interprétations historiques erronées et évoquer les non dits, en résumé, de lever les obstacles qui nuisent à la recherche de ce qui juste et vrai.

Les Russes et les Ukrainiens, sont-ils un même peuple, ainsi que l’affirme Vladimir Poutine. Les Russes, Biélorussiens, Ukrainiens sont-ils des peuples frères issus du berceau commun, la Rouss de Kyiv (Kiev étant la dénomination russe).

Les russophones d’Ukraine sont-ils russes ? Sont-ils des Ukrainiens pro-russes ? Durant la seconde guerre mondiale, les Ukrainiens ont-ils été les alliés des nazis ? Actuellement, y-a-t’il des néo-nazis en Ukraine ? Le différend russo-ukrainien débute avec l’interprétation du grand état médiéval que fut le Rouss de Kyiv et qui en est le légataire ?

Le grand duc de Moscovie, Basile III (1505-1533) après avoir annexé quelques territoires voisins rajouta à son titre celui de souverain de toute la Rouss  (l’etnonyme Russie apparaîtra en 1721, avec Pierre le Grand 1672-1725).

Karamzine (1766-1826) fondateur de l’historiographie impériale russe, écrivait que la Rouss de Kyiv correspondait à la naissance de la Russie et que Kyiv était la mère des villes russes.

Pogodine (1800-1875), historien et écrivain russe affirmait que les Russes étaient les fondateurs de la Rouss de Kyiv et qu’ils vécurent à Kyiv jusqu’au 13ième siècle, plus précisément jusqu’en 1240, date de la prise de la ville par les Mongols. Ces « Russes » auraient émigré vers des territoires situés entre la Volga et l’Oka. Selon lui les Ukrainiens seraient apparus au 14ième siècle et occupèrent le bassin moyen du Dniepr, de la Volynie et la Galicie. Pogodine ne dit pas d’où venaient ces Ukrainiens. L’ethnogenèse des Russes a débuté entre la Volga et L’Oka au 11ième siècle et non pas au 13ième siècle. Afin de palier à ce regrettable anachronisme, il fut lancé une campagne destinée à faire naître dans la conscience populaire l’idée que la Rouss de Kyiv était le berceau « des trois peuples frères » (Russes, Biélorussiens, Ukrainiens). Ces peuples seraient issus d’un ancien peuple Rouss, cela créait l’illusion d’une parfaite unité organique et avait le notable avantage de considérer les grands princes de princes de Kyiv Volodymyr (Vladimir en russe) et Yaroslav le Sage, comme étant les fondateurs de l’état russe.

L’académicien Pokrovsky (1868-1932) avec d’autres historiens russes soviétiques a considéré sous un angle totalement différent le processus ethnique de la Rouss de Kyiv. Ils arrivaient quasiment aux mêmes conclusions que le grand historien ukrainien Hruchevsky. Ils considéraient que les peuples slaves orientaux de l’état de Kyiv vivaient chacun dans des espaces bien définis, avaient des langues spécifiques et connurent des évolutions distinctes. Les proto-ukrainiens subirent l’influence de la civilisation  gréco bizantine. La Belarus s’est formé sur le substrat balte et Rouss de Kyiv et plus tard dans un cadre confédéral polono-lituanien. L’ethnos russe s’est formé durant la colonisation par les slaves des espaces boisés qui étaient alors occupés par des Baltes et des tribus finno-ougriennes. L’école russe de Pokrovsky, à l’instar de l’école ukrainienne de Hruchevsky, n’incluait pas la Rouss de Kyiv dans l’histoire de la Russie qui débutait, selon eux, à partir de la principauté de Souzdal.

Le 10 janvier 1954, le Comité central du parti communiste de l’URSS  publia dans la Pravda un article qui stipulait qu’entre les 9ième et 11ième siècles s’est formée une nation proto-russe qui avait une unicité de langue, de culture et le sentiment patriotique d’appartenir à une seule nation. Les invasions mongols, polonaises, lituaniennes auraient donné naissance aux nations : russe, ukrainienne, et biélorussienne.

En juillet 2021, Vladimir Poutine,  expliquait dans un très long exposé que Russes et Ukrainiens sont un seul et même peuple, que l’Ukraine moderne est une création de l’ère soviétique et que, suite à l’effondrement de l’Union soviétique, les Etats Unis et l’Union européenne ont poussé Kyiv à adopter une attitude hostile envers Moscou.

Les principales périodes de l’histoire de l’Ukraine sont :

– 813 à 1349   : Epoque des grands princes,

– 1349 à 1648 : Epoque polono-lituano-ukrainienne,

En 1648, les cosaques ukrainiens signèrent un traité d’assistance militaire avec la Moscovie. L’original du traité s’est fort opportunément perdu et a été interprété par Moscou comme étant un traité d’allégeance. La Moscovie enserrera peu à peu l’Ukraine dans une étreinte fraternellement mortelle.

– 1648 à 1659 : Etat indépendant des Cosaques,

– 1659 à 1783 : Etat autonome : le Hetmanat cosaque,

– 1784 à 1917 : Province de la Russie,

– 1917 à 1920 : Etat indépendant,                                                 

– 1919 à 1941 : L’Ukraine occidentale est sous domination polonaise, (Traité de Versailles et du Trianon)

– 1922 à 1941 : Période soviétique,

– 1941 à 1944 : Occupation allemande,

– 1944 à 1991 : Période soviétique.

De 1686 à 1910 s’effectueront d’innombrables interdictions : religieuses et linguistiques.  Liquidation de l’Eglise orthodoxe autonome d’Ukraine, interdiction des prêches en langue ukrainienne dans les églises.

1687 : Obligation pour l’Hetmanat ukrainien d’accroître les mariages mixtes russo-ukrainiens

1709 : Pierre 1er (Le Grand)  instaure par ukaze une censure pour toutes les publications en langue ukrainienne.

1720 : Ukaze de Pierre 1er (Le Grand)  interdisant l’édition de nouveaux livres en langue ukrainienne.

1775 : Décret de Catherine II (la Grande) ordonnant la destruction de la Sitch des Cosaques Zaporogues et leur déportation dans le Kouban.                                   

1783 : Ukaze de Catherine II (la Grande) introduisant le servage en Ukraine.

1834 : Création de l’Université impériale de Kyiv qui a pour but de finaliser la russification de tout le sud ouest de l’empire.

1847 : Liquidation de la confrérie Cyril et Méthode qui prônait l’abolition de l’esclavage et la généralisation de l’enseignement. Les membres de la confrérie furent arrêtés et déportés.

1876 : Circulaire de Valouïev qui interdisait tout écrit en ukrainien, et prônait la fermeture des écoles hebdomadaires ukrainiennes, déportation de personnalités ukrainiennes.

1888 : Alexandre III interdit l’usage de l’ukrainien lors des manifestations officielles.

1908 : Ukaze du sénat russe mettant l’accent sur la nocivité de la culture et de l’éducation ukrainienne.

1910 : Circulaire de Stolypine interdisant les associations ukrainiennes et juives quelle qu’en soit la finalité.

1938 : Le russe est obligatoire dans les écoles d’Ukraine

1938 : Le 14ième congrès du parti communiste de l’URSS qui prône l’intensification de la russification en Ukraine.

1983 : Décision d’augmenter de 16% le salaire des enseignants qui favorisaient en Ukraine l’extension de la langue russe dans les écoles et activités para scolaires.

1989 : Le Comité central du parti communiste institue le russe en tant que langue unique en URSS.

En dépit de toutes ces mesures répressives, la langue et la culture ukrainienne ont réussi à subsister et l’aspiration à la liberté n’a jamais faibli. Voltaire dans son histoire de Charles XII de Suède écrivait « l’Ukraine a toujours aspiré à être libre ».

Le 17 mars 1917, une semaine après le début de la révolution russe était constitué à Kyiv un Parlement ukrainien « La Rada Centrale ». 

En novembre 1917, la Rada Centrale s’empara de la totalité du pouvoir en Ukraine.

Le 20 novembre 1917, l’indépendance de la république nationale d’Ukraine était proclamée, la France et la Grande Bretagne reconnaissaient de facto l’existence de cette république.

Le 9 février 1918, l’Etat ukrainien signe avec la Russie un traité de reconnaissance réciproque, le jour même Kyiv est occupé par les troupes soviétiques russes.         

Le 3 mars 1918, la Russie soviétique signe à Brest-Litovsk  un nouveau traité qui reconnaissait l’existence de l’Etat ukrainien. Le 5 février 1919, les troupes russes occupent Kyiv.

Le 31 août 1919, l’armée ukrainienne déloge les Soviétiques russes mais doit rapidement abandonner la capitale au profit de l’armée blanche tsariste du général Denikine. Celui-ci, était largement soutenu par les pays de l’entente qui étaient partisans d’une grande Russie indivisible. Sur le sol ukrainien, s’affrontèrent l’armée rouge, l’armée blanche, l’armée nationale ukrainienne, les bandes anarchistes de Nestor Makhno ainsi que de nombreux chefs de bandes qui se ralliaient tour à tour à chacun des protagonistes.

En avril 1920, l’Ukraine et la Pologne signent un traité d’assistance militaire et font face aux troupes russo soviétiques.

En octobre 1920, la Pologne signa un armistice avec la Russie soviétique, les troupes ukrainiennes quittèrent le territoire national et furent désarmées en Pologne, c’était la fin de l’indépendance de l’Ukraine. Durant cette période trouble, la population juive d’Ukraine et de la Bélarus endurèrent d’abominables pogromes. Du temps de la Moscovie, puis de la Russie impériale, les Juifs étaient interdits de séjour en Russie ethnique. Le peu de Juifs qui y séjournaient étaient outrageusement taxés. L’état russe pratiquait un antisémitisme qui atteindra son apogée avec Alexandre III,

Les lois racistes édictées à cette époque seront surpassées par les lois anti juives nazies. Tout était fait pour attiser la haine de la population à l’égard des Juifs qui étaient accusés de tous les maux qui accablaient l’empire russe. Le plus invraisemblable était l’accusation de crimes rituels et l’élaboration des protocoles des sages de Sion créées par la police secrète tsariste, qui faisaient état d’une prétendue conférence des leaders du judaïsme mondial pour dominer le monde. Aucune des parties présentes sur le sol ukrainien ne fut exempte de cette ignoble pratique. La propagande soviétique attribua ces crimes aux Ukrainiens.

Durant l’entre deux guerres, l’Ukraine a supporté une russification forcenée et l’élimination physique de son élite intellectuelle. Entre 1928 et 1938, environ un million d’Ukrainiens ont été fusillés. Le plus horrible et le plus inhumain des crimes à l’encontre du peuple ukrainien fut la famine artificielle de 1932-1933 organisée par Staline, qui provoqua environ 5 millions de victimes ukrainiennes,  celles-ci furent remplacées par des citoyens russes.

Après avoir rompu l’odieux pacte germano-soviétique, l’armée allemande fut bien accueillie en Ukraine, cela ne dura pas, la conduite des nazis différait peu de celle des soviétiques. L’Ukraine ne fut pas la seule à réserver un bon accueil aux troupes allemandes, les Baltes en firent de même ainsi que certains Russes, l’accueil fait aux Allemands à Smolensk illustre parfaitement ce propos.   Les Ukrainiens pensaient se débarrasser de Staline, du communisme et de recouvrer l’indépendance et la liberté, ce qui ne signifie pas qu’ils adhéraient au national socialisme et aux thèses racistes du fait qu’eux-mêmes étaient perçus par les Allemands comme des « Untermenschen » slaves.

La propagande du Kremlin n’a de cesse d’évoquer un prétendu passé nazi de l’Ukraine, tout en restant d’une extrême discrétion quant au pacte germano-soviétique et à « l’armée russe de libération » du général Vlassov qui a compté jusqu’à 80.000 hommes. Cette armée n’a pas combattu que les soviétiques mais est venue servir le Reich jusqu’en France, certains de ces détachements se sont joints à la division SS Das Reich pour martyriser le village d’Oradour sur Glane. En outre, il fut créé 2 divisions de SS russes. Vladimir Poutine se cantonne à la « grande guerre patriotique » qui n’était pas que russe mais soviétique.

Une semaine après l’entrée des nazis en Ukraine, soit le 30 juin 1941, les nationalistes ukrainiens du mouvement de Stepan Bandera proclamèrent à Lviv, la restauration de l’Etat ukrainien. La réaction allemande fut instantanée  et brutale, Bandera et les Hauts responsables de son mouvement furent arrêtés par la gestapo et internés jusqu’en septembre 1944 dans le camp de Sachsenhausen. La devise de ce mouvement était « Liberté aux peuples et aux hommes »,  la ligne politique était « ni Moscou, ni Berlin ».

En juillet et août 1941 il fut procédé à l’arrestation de nombreux militants de ce mouvement. Le 25 novembre 1941, le SD (Service de Sécurité nazi) donna l’ordre d’arrêter les Banderovistes (Banderovisten banditen) et de les fusiller sans jugement. Cet ordre figure parmi les documents d’accusation du procès de Nuremberg sous le numéro 014-USSR, numéro 7. En avril/mai 1942, des petits groupes d’auto défense furent créés, à l’automne ils fusionnèrent, ce qui donna naissance à l’armée insurrectionnelle UPA. Cette armée a compté jusqu’à 300.000 hommes et a combattu tout à tour les nazis et les soviétiques. C’est en 1956, que cette armée livra son ultime combat. Pour venir à bout de l’UPA, l’URSS signera un pacte militaire avec la Pologne et la Tchécoslovaquie afin d’anéantir cette armée qui était retranchée dans les Carpathes. Avant d’envahir l’Ukraine, Vladimir Poutine, accusait Bandera d’être un nazi et qu’en aucun cas il livrerait la Crimée aux Banderovistes.

Durant la seconde guerre mondiale, l’Ukraine perdra 8 millions d’habitants, plus de 2 millions de soldats ukrainiens tomberont au champ d’honneur, environ 500 mille mourront en captivité dans d’atroces conditions.  Deux millions de jeunes gens et jeunes filles seront déportés pour servir d’esclaves à l’Allemagne nazie. En Ukraine, les Oradour sur Glane se dénombrent par dizaines, plus de 10 millions d’Ukrainiens étaient sans abri, le pays totalement dévasté. Le 24 août 1991 le Parlement ukrainien proclamait l’indépendance de l’Ukraine, le 1er décembre, cette proclamation sera entérinée par voie référendaire avec plus de 90% d’approbations. La région de Donetsk a approuvé cette proclamation avec 82% des voix, le plus faible pourcentage d’approbations a été obtenu en Crimée avec 54% des voix.

L’Ukraine s’était donc prononcée pour l’indépendance sans que les différences linguistiques, religieuses  ou autres influencent ce résultat.

Après 8 ans de guerre dans le Donbass, le 24 février 2022 les Russes envahissent l’Ukraine et se trouvent confrontés à une résistance acharnée et où les Ukrainiens s’expriment d’une seule et même voix pour affirmer leur volonté d’indépendance, de démocratie, de liberté et rejettent le modèle de société russe.

Certains politiques se sont érigés en connaisseurs du monde russe et ukrainien et insistaient lourdement sur des prétendues divisions du peuple ukrainien. Ils nous ont empoisonnés en affirmant que les russophones sont russes, que tout l’Est ukrainien est russe, qu’il y a un antagonisme entre russophones et ukrainophones, entre orthodoxes et catholiques. D’ici peu, ils trouveront d’autres motifs pour discréditer l’Ukraine et les Ukrainiens.

L’occupation de la Transnistrie, le nivellement au niveau du sol de Grozny, les destructions totales de Homs et d’Alep, les crimes de guerre, l’annexion dissimulée de 20% du territoire géorgien, l’irrésolution occidentale a conforté les ardeurs bellicistes et impérialistes de Vladimir Poutine. La scandaleuse annexion de la Crimée par la Russie, membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU dont la mission principale est le maintien de la paix et de la sécurité internationale, n’a été sanctionnée que par quelques sanctions économiques. A cette violation du droit international, succédait la violation du mémorandum de Budapest, signé par les 5 membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, qui garantissait l’intégrité du territoire ukrainien en échange de remise à la Russie d’un très important arsenal nucléaire qui se trouvait sur le sol ukrainien et qui faisait de l’Ukraine la 3ième puissance nucléaire mondiale. Certains politiques contestaient le bien fondé des sanctions économiques prononcées à l’encontre de la Russie, d’autres doutaient du résultat de ces sanctions. Certains autres se rendaient en Crimée occupée bravant ainsi les décisions de l’ONU, les décisions européennes ainsi que la politique extérieure de la France. Aussitôt, Vladimir Poutine soutenait de prétendus séparatistes dans le Donbass arguant du fait qu’ils étaient russophones et donc victimes des néo-nazis de Kyiv. Aujourd’hui,  depuis un mois, jour pour jour, la guerre fait rage en Ukraine, des villes sont rasées, des objectifs civils bombardés, des civils sont tués par l’armée russe qui fait preuve de barbarie. On entend déjà des voix qui condamnent les va-t’en guerre qui veulent fournir de l’armement à l’Ukraine. Hormis Poutine, personne ne désire la guerre. Aujourd’hui, la question n’est pas de savoir ce que Poutine a dans la tête, mais de se donner les moyens de stopper son bellicisme. Poutine ne s’arrêtera que là où les Occidentaux et en particulier les Européens l’arrêteront.

La difficulté de s’entendre avec la Russie réside dans la confiance que l’on peut accorder à un état voyou, menteur, ennemi déclaré de la démocratie et en particulier de l’Europe.

En 1853, le grand historien français Michelet écrivait : « La Russie en sa nature, en sa vie propre, étant le mensonge même, sa politique extérieure et son arme contre l’Europe sont nécessairement le mensonge ! »

NB : les questions posées par l’assistance ont été aussi nombreuses que pertinentes.

Bohdan Bilot

Président de l’Union des Ukrainiens de France

L’OCCIDENT DOIT IMPOSER FERMEMENT LES PRINCIPES DE BASE DE LA CHARTE DES NATIONS UNIES AU NOM DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ MONDIALES

Le 21 juillet 2021, le président des États-Unis Joe Biden et la chancelière allemande Angela Merkel ont publié une Déclaration commune des États-Unis et de l’Allemagne sur le soutien à l’Ukraine, la sécurité énergétique européenne et nos objectifs climatiques qui soulignait les arrangements conclus entre les deux dirigeants pour que les États-Unis retirent leur opposition à l’achèvement du gazoduc Nord Stream 2.

Le raisonnement à l’époque était que l’achèvement du gazoduc Nord Stream 2 était inévitable, et que la levée des sanctions américaines qui bloquaient ce projet très controversé du Kremlin améliorerait non seulement considérablement les relations entre les États-Unis et l’Allemagne, mais ferait également fondre le climat glacial dans les relations entre les États-Unis et la Russie.

Ayant obtenu une concession aussi favorable de l’Occident pendant l’occupation par la Russie de la Crimée et de certaines parties de l’Ukraine orientale, ainsi que de certaines parties de la Géorgie, un observateur non initié (non familier avec la mentalité tordue du Kremlin qui considère ce type de concessions comme des signes de faiblesse mûrs pour de l’exploitation additionnelle) supposerait naturellement que le Kremlin ferait preuve d’un comportement exemplaire (pour un certain temps, au moins), sinon ferait même des concessions pro forma pour démontrer une certaine forme de réciprocité dans ses relations internationales avec l’Occident.

Cette tentative unilatérale de rapprochement de l’Occident rappelle de manière déconcertante les efforts de l’Occident pour apaiser un autre dictateur belligérant le 30 septembre 1938, lorsque le premier ministre britannique, Neville Chamberlain, est rentré chez lui après avoir signé l’Accord de Munich avec Hitler, et a déclaré de manière rassurante à son peuple :

« Je crois que c’est la paix pour notre temps. […] Maintenant, je vous recommande de rentrer chez vous et de dormir tranquillement dans vos lits. »

Onze mois plus tard, le 1er septembre 1939, le Royaume-Uni s’est réveillé aux atrocités de la Seconde Guerre mondiale alors que les nazis pénétraient en Pologne et, deux jours plus tard, le 3 septembre 1939, ce même premier ministre britannique n’avait d’autre choix que de déclarer la guerre à l’Allemagne nazie.

Cette fois-ci, après la Déclaration commune de juillet des chefs d’État des États-Unis et de l’Allemagne, nous avons déjà été témoins du déroulement des événements alarmants suivants : (i) les prix du gaz ont monté en flèche à la suite des manipulations de la Russie pour créer une crise artificielle  en approvisionnement en gaz dans le but de faire pression sur l’Union européenne et l’Allemagne pour qu’elles donnent une approbation réglementaire rapide du gazoduc Nord Stream 2 (le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie, Fatih Birol, a déclaré le 12 janvier 2022 que la Russie aggravait la crise du gaz en Europe en retenant au moins un tiers du gaz qu’elle pourrait acheminer vers l’Europe via les gazoducs existants); (ii) la Russie a stationné quelque 100 000 soldats en Crimée et près de la frontière orientale de l’Ukraine, menaçant l’Ukraine d’une plus grande invasion militaire russe (le 15 janvier 2022, le secrétaire de presse présidentiel de la Russie, Dmitri Peskov, a déclaré : « Nous n’allons pas dire que nous ne déploierons aucune arme offensive sur le territoire ukrainien »); (iіі) la Russie a orchestré avec la Biélorussie une crise migratoire aux frontières de la Biélorussie avec la Pologne, la Lituanie et la Lettonie pour déstabiliser l’Union européenne; et (iv) la Russie fait pression sur l’OTAN et les États-Unis pour revenir aux « sphères d’influence » de la guerre froide et propose des accords de « sécurité » de type Yalta (ces projets d’accords de « sécurité » prévoient le retrait des troupes et des armements de l’OTAN de 14 des 30 États membres de l’OTAN et l’élimination de la « politique de la porte ouverte » de l’OTAN, plus particulièrement à l’égard de l’Ukraine, avec l’intention manifeste de déstabiliser l’Occident, de discréditer, puis de démanteler l’OTAN et de rétablir une sphère d’influence russe sur le territoire des anciens pays du bloc de l’Est).

Par exemple, le projet d’Accord sur les mesures pour assurer la sécurité de la Fédération de Russie et des États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord du 17 décembre 2021 propose, entre autres, que :

« Article 4

La Fédération de Russie et toutes les Parties qui étaient des États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord au 27 mai 1997, respectivement, ne déploieront aucune force et aucun armement militaires sur le territoire des autres États d’Europe en plus des forces stationnées sur ce territoire au 27 mai 1997. Avec le consentement de toutes les Parties, de tels déploiements peuvent avoir lieu dans des cas exceptionnels pour éliminer une menace à la sécurité d’une ou de plusieurs Parties. […]

Article 6

Tous les États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord s’engagent à s’abstenir de tout nouvel élargissement de l’OTAN, y compris l’adhésion de l’Ukraine ainsi que d’autres États.

Article 7

Les Parties qui sont des États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ne mèneront aucune activité militaire sur le territoire de l’Ukraine ainsi que d’autres États de l’Europe orientale, du Caucase du Sud et de l’Asie centrale. […] »

La Russie souhaite que l’OTAN et ses États membres abandonnent purement et simplement leur flanc oriental sur toile de fond d’un récit farfelu qui cherche à faire de la Russie une victime dont les frontières sont menacées sans cesse par l’élargissement de l’OTAN alors que : (i) les pays européens (qui étaient autrefois sous la sphère d’influence soviétique) ont demandé l’adhésion à l’OTAN pour se protéger contre une Russie menaçante; (ii) depuis la Seconde Guerre mondiale, c’est la Russie qui a effrontément violé l’intégrité territoriale de pays indépendants, dont la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine; et (iii) c’est la dépendance de l’Europe envers les  approvisionnements en gaz contrôlés par la Russie qui constitue la principale menace pour la sécurité énergétique de l’Europe, comme le démontrent les prix actuels du gaz artificiellement gonflés.

En fait, Poutine a calculé que la Russie peut redevenir un empire en contrôlant l’Ukraine, en militarisant le gaz russe, en déstabilisant l’Occident, y compris l’OTAN, en semant la peur de « l’ours russe », et en invoquant un droit et un devoir autoproclamés d’être la protectrice des russophones du monde entier.

Pourquoi l’Ukraine est-elle au centre de l’attention de la Russie?

Dans son livre intitulé « Strategic Vision: America and the Crisis of Global Power », Zbigniew Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter, ainsi que conseiller aux affaires étrangères de plusieurs autres présidents américains, a clairement répondu ainsi à cette question :

« On ne saurait trop insister sur le fait que sans l’Ukraine, La Russie cesse d’être un empire, mais avec l’Ukraine subornée puis subordonnée, La Russie devient automatiquement un empire. »

L’actuel tsar de la Russie l’a confirmé lorsqu’il a ouvertement déploré que l’éclatement de l’Union soviétique fut « la plus grande catastrophe du vingtième siècle » et s’est engagé à restaurer sa soi‑disant gloire passée. De plus, le 12 juillet 2021, Poutine a écrit un article intitulé « Sur l’unité historique desRusses et des Ukrainiens », où il est allé jusqu’à nier l’existence du peuple ukrainien dans son ensemble et a attaqué la légitimité de l’indépendance renouvelée de l’Ukraine en 1991 :

« Au cours de la récente ligne directe, lorsqu’on m’a interrogé sur les relations russo-ukrainiennes, j’ai dit que les Russes et les Ukrainiens formaient un seul peuple un tout. Ces propos n’étaient pas motivés par des considérations à court terme ou motivés par le contexte politique actuel. C’est ce que j’ai dit à de nombreuses reprises et ce que je crois fermement. […]

Le nom « Ukraine » était plus souvent utilisé au sens du vieux mot russe « okraina » (périphérie), que l’on retrouve dans des sources écrites du 12e siècle, faisant référence à divers territoires frontaliers. Et le mot « Ukrainien », à en juger par les documents d’archives, désignait à l’origine les gardes-frontières qui protégeaient les frontières extérieures. […]

En substance, les cercles dirigeants ukrainiens ont décidé de justifier l’indépendance de leur pays par le déni de son passé, sauf pour les questions frontalières. Ils ont commencé à mythifier et à réécrire l’histoire, à supprimer tout ce qui nous unissait et à se référer à la période où l’Ukraine faisait partie de l’Empire russe et de l’Union soviétique comme une occupation. La tragédie commune de la collectivisation et de la famine du début des années 1930 a été dépeinte comme le génocide du peuple ukrainien. […]Je suis convaincu que la véritable souveraineté de l’Ukraine n’est possible qu’en partenariat avec la Russie. Nos liens spirituels, humains et civilisationnels formés depuis des siècles et puisant leurs origines aux mêmes sources, ils se sont durcis par des épreuves, des réalisations et des victoires communes. Notre parenté s’est transmise de génération en génération. Elle est dans le cœur et la mémoire des personnes vivant dans la Russie et l’Ukraine modernes, dans les liens du sang qui unissent des millions de nos familles. Ensemble, nous avons toujours été et serons plusieurs fois plus forts et plus performants. Car nous sommes un seul peuple. »

Malgré cette approche impérialiste de la Russie et le désir constitutionnellement inscrit de l’Ukraine d’adhérer à l’OTAN et à l’Union européenne, l’OTAN a essayé de garder une distance prudente avec l’Ukraine afin de ne pas provoquer la Russie. Au fil des événements, il est clair que la subtile politique d’apaisement de l’OTAN avec une Russie impérialiste n’a pas fonctionné.

En effet, en février 2014, la Russie a envahi la Crimée et, peu après, des parties de l’est de l’Ukraine. Depuis lors, la Russie a occupé ces territoires et a mené une guerre hybride impitoyable et vicieuse contre l’Ukraine dans le but évident d’en reprendre le contrôle total.

L’agression militaire de la Russie a déjà détruit avec un mépris total à la fois personnes et biens. Plus de 14 000 personnes ont été tuées et plus de 30 000 blessées dans les seules régions occupées de Donetsk et de Louhansk, et il y a plus de 1,5 million de personnes déplacées à l’intérieur de l’Ukraine.

La caractérisation absurde suivante par Poutine de cette agression militaire de la Russie contre l’Ukraine dans son article du 12 juillet 2021 et les violations flagrantes par la Russie des accords de Minsk indiquent pourquoi les ambitions impérialistes de Poutine menacent la sécurité mondiale et on ne peut pas lui faire confiance lorsqu’il offre un cadeau empoisonné :

« Le coup d’État et les actions ultérieures des autorités de Kiev ont inévitablement provoqué l’affrontement et la guerre civile. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme estime que le nombre total de victimes du conflit dans le Donbass a dépassé les 13 000. Parmi eux se trouvent des personnes âgées et des enfants. Ce sont des pertes terribles et irréparables.

La Russie a tout fait pour arrêter le fratricide. Les accords de Minsk visant à un règlement pacifique du conflit dans le Donbass ont été conclus. Je suis convaincu qu’ils n’ont toujours pas d’alternative. En tout cas, personne n’a retiré sa signature du paquet de mesures de Minsk ou des déclarations pertinentes des dirigeants des pays du format Normandie. Personne n’a entrepris une révision de la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies du 17 février 2015. »

Si l’Occident souhaite surmonter la menace impérialiste de la Russie, les dirigeants occidentaux auront besoin de prévoyance et de courage pour prendre des mesures décisives, notamment pour : (i) appliquer un plan d’action axé sur la paix, la sécurité et la stabilité mondiales, le respect de l’intégrité territoriale de tous les pays et la promotion des principes démocratiques inscrits dans la Charte des Nations Unies; (ii) fournir à l’Ukraine le soutien militaire de l’OTAN et le plan d’action pour l’adhésion à l’OTAN (puisque l’Ukraine défend non seulement son intégrité territoriale, mais confine également les ambitions impérialistes mondiales de la Russie); (iii) veiller à ce que la Russie ne puisse pas contourner l’Ukraine dans l’approvisionnement en gaz de l’Europe en fixant des engagements stricts en matière d’approvisionnement en gaz via le réseau de gazoducs et les stockages souterrains de gaz de l’Ukraine (ce qui améliorera la sécurité énergétique de l’Europe, car la Russie a clairement démontré qu’elle n’est pas un fournisseur de gaz fiable pour l’Europe); (iv) augmenter les sanctions contre la Russie et l’entourage de Poutine, bannir la Russie du réseau de paiement SWIFT et suspendre le processus de certification de Nord Stream 2 jusqu’à ce que la Russie cesse son occupation de l’Ukraine et désamorce les tensions à la frontière ukrainienne (car les sanctions fonctionnent, et ce, malgré le fait que la Russie minimise leur importance, comme l’a clairement démontré l’avertissement de Poutine selon lequel de nouvelles sanctions américaines en réponse à une plus grande invasion de l’Ukraine pourraient rompre les liens entre les États‑Unis et la Russie); et (v) contrer efficacement la machine de désinformation puissante et destructrice de la Russie en diffusant des informations véridiques et les valeurs fondées sur la Charte des Nations Unies à la fois en Occident et en Russie.

Contrer les plans impérialistes de Poutine ne sera pas facile. La Russie est convaincue que l’Occident adoptera finalement l’approche de Chamberlain dans ses relations avec la Russie et continuera donc à pousser l’OTAN au bord du conflit pour maximiser les concessions. L’Occident ne doit pas être dupe de telles tactiques. Au lieu de cela, l’Occident devrait s’inspirer de ses efforts significatifs dans le passé contre l’adversité du même ennemi historique, y compris l’extorsion par l’Union soviétique que constituait le blocus de Berlin et que l’Occident a contré efficacement avec le pont aérien de Berlin.

Comme tous les dictateurs, Poutine ne comprend et ne réagit qu’au langage de la force. Les concessions antérieures à la Russie n’ont fait que produire une Russie plus belliqueuse. L’Occident devrait donc adopter une stratégie éprouvée et efficace tirée de Muhammad Ali pour venir à bout de l’agression hybride de la Russie contre l’Occident, à savoir : « Flotter comme un papillon, piquer comme une abeille ».

Ce n’est qu’en reconnaissant les ambitions impérialistes de Poutine pour ce qu’elles sont et en prenant des mesures décisives pour faire respecter les principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies que l’OTAN et ses États membres pourront éviter une crise plus grave et assurer la paix, la sécurité et la stabilité mondiales.

Eugène Czolij

Président de l’ONG Ukraine-2050 / Président du Congrès Mondial Ukrainien (2008-2018)

L’Organisation non gouvernementale (ONG) « Ukraine-2050 » est une organisation sans but lucratif établie pour aider à mettre en œuvre dans une génération – d’ici 2050 – des stratégies pour le développement durable de l’Ukraine en tant qu’État européen pleinement indépendant, territorialement intégral, démocratique, réformé et économiquement compétitif.

www.ukraine-2050.org

Le procès du MH-17 étale les preuves de l’implication russe

Après plus de cinq ans d’enquête, un procès s’est enfin ouvert le 9 mars 2020 au tribunal de Schiphol, dans la banlieue d’Amsterdam. Il s’agit de juger les responsables de la mort de 298 personnes qui se trouvaient à bord du Boeing 777 de la Malaysian Airlines, abattu par un missile BUK dans l’est ukrainien, en pleine guerre déclenchée par la Russie, le 17 juillet 2014. L’enquête sur le crash de cet avion de ligne effectuant un trajet entre Amsterdam et Kuala Lumpur a été confié au Groupe international d’enquête mixte (JIT) composé de 5 pays : les Pays-Bas, l’Ukraine, l’Australie, la Belgique et la Malaisie.

Chacun de ces pays a fourni des enquêteurs qui ont rassemblé des preuves, mené des enquêtes, effectué des expertises et des interrogatoires de témoins. Le bureau du procureur a rassemblé un dossier d’enquête qui fait 36000 pages, auxquelles s’ajoutent 6000 fichiers multimédias. Le dossier fait à lui seul 102 volumes. « Beaucoup de vidéos en « open source » ont été étudiées et des conversations téléphoniques ont fait l’objet d’exploitations », a expliqué le procureur néerlandais Thijs Berger en présentant l’acte d’accusation.

Les quatre suspects, parmi lesquels trois Russes et un Ukrainien qui a rejoint les rebelles, brillent par leur absence. En ce qui concerne les citoyens russes, il s’agit d’un ex-officier des services de sécurité, le FSB, et ancien « ministre de la défense » de la République autoproclamée de Donetsk (DNR) Igor Girkin, du général du service de renseignement militaire russe, le GRU, et chef du service de renseignement de la « DNR » Sergueï Doubinskiy ainsi que du lieutenant-colonel du GRU Oleg Poulatov. L’Ukrainien se nomme Leonid Harchenko et il combattait du côté des rebelles.

Les autorités néerlandaises ont fait preuve d’insistance pour retrouver et convoquer les quatre hommes. Ainsi, pour l’Ukrainien qui se cache actuellement sur le territoire du Donbass qui n’est pas sous le contrôle de l’Ukraine, le Parquet a retrouvé son profil sur le réseau social russe VKontakte pour informer ce dernier de sa convocation par message privé. « Le message de la Cour a été consulté le 19 juillet à partir d’une adresse IP à Donetsk. Le 20 juillet, le profil a été retiré du réseau VK », a déclaré le juge du Tribunal de Schiphol Hendrik Steenhuis.

Seul Oleg Poulatov a exprimé le désir d’être représenté lors des audiences par des avocats néerlandais et une avocate russe. Bien que l’avocate n’ait pas le droit de plaider, elle a toutefois un accès illimité au dossier d’instruction, ce qui fait redouter des risques de fuites d’informations hautement sensibles. Rappelons, que la Russie nie farouchement toute implication dans cette affaire, rejetant la faute sur l’Ukraine.

Afin de détourner les soupçons, les propagandistes du Kremlin créent des versions multiples et invraisemblables de la catastrophe, brouillant les pistes pour ralentir l’enquête. Pourtant, le groupe d’enquête international a pu établir que l’avion avait été abattu par un missile de fabrication russe de type BUK, et provenant de la 53e brigade antiaérienne des forces armées russes stationnée à Koursk, en Russie. Les Pays-Bas et l’Australie qui comptent le plus grand nombre de victime dans cette tragédie, ont officiellement accusé la Russie d’être impliquée dans la tragédie. D’après les résultats de l’enquête, les quatre suspects avaient directement participé à l’acheminement du missile BUK depuis la Russie jusqu’au Donbass, avant que celui-ci ne soit tiré par des personnes qui ne sont pas encore identifiées.

Il est probable que le tribunal ne se limitera pas à juger ce quatuor, et que de nouvelles inculpations seront prononcées. C’est peut-être la raison pour laquelle la Russie tente d’empêcher les enquêteurs de remonter le fil qui pourrait bien conduire à des personnalités politiques russes de très haute importance. D’autant qu’à la mi-novembre 2019, les enquêteurs ont dévoilé le contenu de conversations téléphoniques révélant des «liens étroits» entre les quatre accusés et de hauts responsables russes, dont le ministre de la Défense Sergueï Choïgou et un proche conseiller de Vladimir Poutine, Vladislav Sourkov.

« Établir la justice dans l’affaire du MH-17 est une question complexe, note l’ambassadeur de l’Ukraine aux Pays-Bas, Vsevolod Chentsov. En plus de se prononcer sur la responsabilité de personnes concrètes, il convient de répondre à la question suivante : comment les armes avec lesquelles l’avion a été abattu sont arrivées en Ukraine ? Est-ce que ce tir est le résultat d’une négligence, d’une erreur ou d’une action planifiée ? En conséquence, la question posée est celle de la responsabilité d’un Etat et des organes de cet Etat pour cette action ».

Parmi toutes les preuves rassemblées par les enquêteurs, le Parquet peut également compter sur au moins 14 témoins qui ont formulé une demande auprès du Tribunal afin que leur identité ne soit pas dévoilée. Au deuxième jour d’audience, la question des témoins du crash du vol MH-17 a été longuement évoquée par les trois procureurs néerlandais. Ils ont souligné les risques importants et le danger encouru par ceux-ci. Afin de protéger les témoins, des numéros ont dû remplacer leurs noms de famille. Le témoin C21 était un des subordonnés du suspect Leonid Harchenko et a été impliqué dans le transport du missile BUK. Alors que le témoin M58 a apporté un témoignage concernant les personnes présentes sur le lieu du lancement du missile.

« Les témoins prennent de gros risques. Nous avons dû assurer leur protection afin qu’ils puissent témoigner sans que leur vie et leur santé ne soient menacées. Cela s’applique également aux témoins, dont les proches vivent sur les territoires occupés », a déclaré le procureur néerlandais Thijs Berger. Il a également souligné de nombreux cas de violations des droits de l’homme sur les territoires occupés. « L’un des témoins nous a dit qu’il craignait pour sa sécurité et que des personnes armées lui ont rendu visite à deux reprises. Il a donc dû quitter son lieu de résidence », a déclaré le procureur. Selon lui, certains témoins ont dit craindre des menaces de la Russie, en particulier des services spéciaux russes, et ont peur des représailles. Ils ont insisté pour conserver leur anonymat.

Les Pays-Bas n’ayant décrété aucun confinement pour le moment, malgré l’épidémie de Coronavirus qui touche l’Europe de plein fouet, les audiences dans cette affaire devraient reprendre le 23 mars. Selon les estimations de la justice néerlandaise, le procès pourrait durer entre 4 et 5 ans.  

Par Anna Jaillard Chesanovska

Les réseaux du Kremlin en France, par Cécile Vaissié

Les réseaux du Kremlin en France, aux éditions Petits Matins, est un livre indispensable pour comprendre et mesurer l’ampleur de l’activité des lobbies pro-russes en France. La guerre menée par Vladimir Poutine contre l’Europe et la France fait ici l’objet d’une étude sérieuse qui démontre comment Moscou influence les élites politiques, les médias et la société civile français.

A lire afin de prendre conscience du danger qui nous menace.

Madame Cécile Vaissié est professeure en études russes, soviétiques et post-soviétiques à l’Université Rennes 2. Elle est spécialiste des rapports entre culture, société et pouvoir russes.